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Mort Subite du Sportif

Jusqu’à récemment, il n‘existait pas de données générales sur la mort subite du sportif dans la communauté — c‘est à dire incluant les sportifs occasionnels (typiquement le « jogger du dimanche »…). Toute l‘information dont nous disposions provenait des études effectuées chez le jeune sportif de haut niveau, ou certaines activités sportives spécifiques telles que le marathon…

Eloi Marijon, MD, PhDHôpital européen Georges Pompidou, Département de Cardiologie, Unité de Rythmologie, Paris

C‘est la raison pour laquelle le Centre d‘Expertise Mort Subite a initié un registre français en avril 2005, mené en population générale (60 départements, 35 millions d‘habitants) chez les 10-75 ans, et poursuivi pendant 5 années consécutives. Il s‘agissait d‘une vaste étude collaborative entre le Centre d‘Expertise Mort Subite, l‘Inserm, le SAMU de France, mais également l‘Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP), visant a décrire les caractéristiques des sujets, les circonstances de survenue ainsi que le pronostic de ces événements tragiques. Le financement a été possible grâce à la Société Française de Cardiologie, la Fédération Française de Cardiologie, ainsi que l‘INSERM.

Nous avons collecté un total de 820 cas. Par différents modèles de calcul, considérant notre défaut d‘exhaustivité manifeste, nous avons évalué à 800-1000 le nombre de cas survenant par an en France. Les grands résultats déjà issus de ce registre peuvent être brièvement schématisés en 10 points.

Point 1 – La mort subite du jeune athlète de compétition (vert) ne concerne pas plus de 6% du total des morts subites du sportif (elle concernait pourtant près de 100% des publications jusqu’à présent !).

Point 2 – L‘incidence de la mort subite pendant une activité sportive chez les jeunes (<35 ans) athlètes de compétition est d‘environ 10 par million et par an, soit 4 fois plus élevée que les sportifs occasionnels du même âge. Cependant, ces athlètes font environ 15 à 20 fois plus de sport que les seconds, suggérant effectivement que le risque cumulé du sportif de compétition est élevé, essentiellement du fait d‘un ―temps d‘exposition‖ plus important. Le risque ajusté pour une heure de sport pratiquée apparait largement inferieur chez l‘athlète, rejoignant l‘idée que la pratique sportive régulière est bénéfique, diminuant à plus long terme la mortalité cardiovasculaire, incluant la mort subite.

Point 3 – Le plus souvent, la cause de décès n‘est pas identifiée (75% des cas), en particulier dans la population pratiquant une activité sportive de loisir. Ce manque d‘information est essentiellement lié au fait que deux tiers des sujets décèdent sur place, et que l‘autopsie n‘est que très rarement pratiquée en France (<5%). Parmi les causes identifiées, la maladie coronaire reste prépondérante, représentant 75 à 80% des pathologies identifiées, les cardiomyopathies familiales et cardiopathies congénitales 10 à 15%, et les canalopathies et fibrillation ventriculaire idiopathiques 5 à 10%.

Point 4 – Au delà des différences de participation sportive, le risque de mort subite de la femme pendant le sport apparait extrêmement faible par rapport à celui de l‘homme (jusqu’à 30 fois plus faible dans la tranche d‘âge 45-54 ans). Dans plus de 80% des cas en effet, la mort subite du sportif concerne l‘homme d‘âge moyen (40-50 ans), et les femmes ne représentent que 5% de l‘ensemble des cas.

Point 5 – D‘après ces données françaises, le risque de mort subite serait différent en fonction du sport pratiqué : apparaît jusqu’à 6 fois plus faible chez l‘homme effectuant une activité de natation comparée à l‘homme effectuant du cyclisme. En quelle mesure ces différences sont directement liées au sport pratiqué, ou en rapport avec d‘éventuels facteurs confondants, nécessite d‘autres études spécifiques.

Point 6 – Le taux de survie moyen à la sortie de l‘hôpital est en moyenne de 16%, relativement supérieur à ce que l‘on peut observer lorsque la mort subite survient en dehors d‘un contexte sportif (~7% en France). Nous avons mis en évidence des disparités départementales majeures en termes de survie à la sortie de l‘hôpital (de 0 à 47%), les 2 grands gagnants étant les départements Nord et Cote d‘Or.

Point 7 – L‘analyse au travers 4 groupes de survie (< 10 %, 10-20, 20-40, > 40 %) ne montre pas de différence concernant la période hospitalière et les temps d‘intervention des premiers secours sur le lieu de l‘accident. Par ailleurs, les circonstances de survenue apparaît comme étant très similaire avec notamment la présence de témoins dans plus de 90% des cas. A l‘inverse, l‘action entreprise par le témoin – l‘initiation du massage cardiaque – diffère de façon majeure entre les 4 groupes, et est associée avec une proportion de rythme choquable plus importante. Il est intéressant de noter qu‘aucune différence significative n‘est mise en évidence concernant le temps de réaction (appel premiers secours) et l‘usage du défibrillateur. En effet, 90% des témoins présents initient un massage cardiaque à Lille ou à Montbard (versus 10-20% dans la majorité des départements français).

Point 8 – La relativement bonne survie est essentiellement le reflet de ce qui se passe au sein des enceintes sportives (notamment stades) : 22% de survie, contre 7% lorsque l‘arrêt cardiaque survient pendant le sport hors enceinte sportive. Ces différences de survie ne sont pas tant liées aux caractéristiques des sujets, mais à l‘environnement immédiat lors de l‘arrêt notamment l‘action du témoin.

Point 9 – L‘analyse plus précise de l‘historique médical des patients mourant de mort subite pendant le sport a permis de démontré, en collaboration avec le registre Oregon-SUDS, que 50% des patients avaient soit une cardiopathie connue et/ou plus de 2 facteurs de risque cardiovasculaire. Par ailleurs, 50% présentent des symptômes dans les 4 semaines qui précèdent, majoritairement des douleurs thoraciques typiques. Quelques cas de syncopes ayant consulté aux urgences, quelques jours avant l‘arrêt cardiaque, ont également été dépistés. Ces résultats démontrent le rationnel pour développer une stratégie de prévention subaigue.

Beaucoup de données sont encore en cours d‘analyse, mais ce premier registre en population générale a permis d‘initier, au sein de la communauté médicale internationale, un véritable élan d‘intérêt pour le sportif « occasionnel ».
Reste à mieux comprendre quel coronarien d‘âge moyen est plus à même de faire un arrêt cardiaque pendant un exercice physique, et définir les stratégies de prévention (au delà de la visite de non-contre indication pour la compétition) les plus pertinentes. Entre temps, nous pouvons améliorer la prise en charge de l‘arrêt cardiaque sur les stades pour offrir à l‘ensemble des départements des taux de survie de plus de 40 %. L‘expérience Lilloise nous en a démontré la faisabilité !

Références

  • Jouven X. Epidemiology of sudden death during sport : Need for a French registry. Science & Sports. 2005;20:205-207
  • Marijon E, Bougouin W, Celermajer DS, Périer MC, Dumas F, Benameur N, Karam N, Empana JP, Jouven X. Characteristics and outcomes of sudden cardiac arrest during sports in women. Circ Arrhythm Electrophysiol.2013;6:1185-1191
  • Marijon E, Bougouin W, Périer MC, Celermajer DS, Jouven X. Incidence of sports-related sudden death in France by specific sports and sex. JAMA. 2013;310:642-643
  • Marijon E, Bougouin W, Celermajer DS, Benameur N, Desnos M, Le Heuzey JY, Cariou A, Empana JP, Jouven X. Major regional disparities in outcomes after sudden cardiac arrest during sports. Eur Heart J. 2013;34:3632- 3640
  • Marijon E, Tafflet M, Celermajer DS, Dumas F, Benameur N, Toussaint JF, Empana JP, Jouven X. Sports-related sudden death in the general population. Circulation. 2011;124:672-681
  • Marijon E, Uy-Evanado A, Reinier K, Teodorescu C, Narayanan K, Jouven X, Gunson K, Jui J, Chugh SS. Sudden cardiac arrest during sports activity in middle age. Circulation. 2015;131:1384-91.